Sept millions de Français pratiqueraient aujourd’hui le yoga. Interrogée par Le Point, Ysé Tardan-Masquelier, historienne des religions, en parle avec érudition. Elle vient de publier un ouvrage savant sur le sujet, avec la contribution de nombreux spécialistes.
Le yoga est désormais une pratique sociale, qui circule dans le monde entier, avec l’Inde pour référence culturelle. Sept millions de Français en seraient aujourd’hui adeptes, selon une enquête nationale menée par la Fédération française de yoga. Mais pour comprendre les enjeux de ce phénomène, encore faut-il se plonger dans ses origines.
Car il n’en a pas toujours été ainsi. Comment cette discipline ancestrale, apparue en Inde, a-t-elle pu s’implanter en Occident et devenir, en quelque sorte, un vecteur de pratiques thérapeutiques et spirituelles nouvelles, quitte à faire l’objet de réinterprétations multiples au fur et à mesure que le yoga se diffusait ?
C’est tout l’objet de cet ouvrage inédit qu’a dirigé Ysé Tardan-Masquelier, spécialiste en anthropologie religieuse, notamment de l’hindouisme, intitulé «Yoga. L’encyclopédie»*. Interrogée par Le Point, elle revient sur l’histoire de cette pratique, qui «n’avait jamais fait l’objet en France d’une approche globale, rigoureuse et de si haute volée», souligne le magazine.
Son origine est inconnue, constate l’historienne. Voilà qui devrait renforcer son côté mystérieux et lointain, qui a tant fait pour sa notoriété en Occident… «Nous en sommes réduits aux hypothèses. Il serait né en Inde, au début du Ier millénaire avant notre ère, de la rencontre de techniques de concentration et de méditation pratiquées par les milieux brahmaniques, spécialistes des rites et des textes, et d’une expérience ascétique centrée sur le travail du souffle et sur des analogies secrètes entre le corps humain pensé comme un ‘petit monde’ semblable au cosmos, le ‘grand monde’», explique Ysé Tardan-Masquelier.
L’idée traverse les civilisations. L’homme est un microcosme, disait aussi le philosophe grec Démocrite. Les Indiens en ont déduit une philosophie, qui combine des techniques physiques et une quête spirituelle. Un texte de référence en fixe les grandes lignes : le «Yoga-sutra», qui aurait été rédigé, les historiens discutent encore de la date, entre le IIe et le IVe siècle de notre ère.
« De multiples commentaires et interprétations »
«C’est un recueil de 195 aphorismes qui trace le chemin – en huit étapes – que doit suivre le pratiquant pour se libérer», poursuit Ysé Tardan-Masquelier. Mais, comme de nombreux textes fondateurs, il suscitera «de multiples commentaires et interprétations». «On a d’abord privilégié les positions assises, qui permettent de conserver la stabilité indispensable pour méditer et se concentrer sur l’essentiel», relève l’historienne.
La pratique évolue. Peu à peu, «le yoga n’est plus centré sur l’immobilité», même si «la position assise, le dos bien droit» reste la posture reine. Il mute, donc, et commence à circuler dans le monde. «Ses techniques propres entrent ainsi en résonance avec le travail du souffle du taoïsme chinois, les incantations des soufis musulmans, les conceptions de certains philosophes juifs et même les exercices spirituels de courants chrétiens comme la ‘prière du cœur’ des orthodoxes», souligne Ysé Tardan-Masquelier.
L’attrait pour l’Orient exprimé par de nombreux artistes et savant, particulièrement au XIXe siècle, accélère sa diffusion en Occident. Mais le phénomène s’emballe à la fin du XXe siècle. «On assiste à une seconde mondialisation du yoga, caractérisée par une dispersion tous azimuts. Chacun veut créer sa méthode, son style, son label», regrette l’historienne. Mais l’Histoire nous joue souvent des tours : en Inde, le yoga se conjugue plus que jamais au singulier, apparaissant depuis quelques années comme un symbole identitaire, sous l’impulsion des nationalistes hindouistes.
(*) « Yoga. L’encyclopédie », sous la direction d’Ysé Tardan-Masquelier (Albin Michel, 736 p., 39 euros).