Le principe de précaution, qui prévoit une protection élevée pour l’environnement, donne du fer à retorde aux industriels de la cosmétique, alors que le règlement européen est en cours de révision.
Initié en décembre 2019, le fameux Pacte vert – ou «Green Deal» -, qui entend mener l’Union européenne vers la neutralité carbone d’ici à 2050, n’a pas fini de donner des sueurs froides au monde industriel, avec ses objectifs sectorisés (personne n’est oublié) et sa frénésie réglementaire à marche forcée.
Le secteur des cosmétiques s’y prépare, non sans appréhension, face à une transition écologique qui va nécessiter, du côté des Etats comme de celui des entreprises, des efforts colossaux, notamment dans les technologies vertes. Car derrière la neutralité climatique, la chimie n’est jamais très loin : il s’agit d’éliminer les substances nocives, pour préserver la santé humaine.
Lesquelles ? On ne les connaît pas encore toutes… En revanche, ce dont les industriels sont sûrs, c’est que la «Stratégie européenne pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques», qui découle du Pacte vert, devrait impacter toute la législation actuelle, de Reach au règlement CLP (Classification, Labelling, Packaging), sans oublier la réglementation cosmétique…
« Ce n’est pas une approche très scientifique »
«Le principe de précaution est poussé à l’extrême», a résumé Caroline Bassoni, directrice Affaires réglementaires de l’association professionnelle Cosmed, qui représente les TPE-PME de cosmétiques, lors d’une conférence au salon MakeUp in Paris, le 17 juin. Selon la juriste, l’un des points les plus problématiques des discussions actuelles, c’est la notion d’essentialité.
Il s’agit, pour Bruxelles, d’éviter l’inclusion de substances dangereuses dès la conception des cosmétiques, sauf si nécessaire pour la santé, la sécurité ou la bonne marche de la société. Or, pour les industriels, cette approche pourrait entraîner l’interdiction de milliers d’ingrédients. La filière de la lavande y a même vu un «danger immédiat» pour ses activités.
«L’obligation de tester chacune des 600 molécules d’une huile essentielle est inapplicable et inopportune», alors que «les huiles testées dans leur globalité n’induisent pas d’effets délétères», ont dénoncé des sénateurs le 18 juin, dans un tribune publiée dans le Journal du Dimanche, accusant Bruxelles d’inciter, à terme, à remplacer les molécules naturelles par des molécules de synthèse provenant du pétrole…
«Ce n’est pas une approche très scientifique. Si on appliquait ce concept tel que, cela voudrait dire que, demain, l’alcool qu’on met dans les parfums, on l’interdit, parce que l’alcool est une substance CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, NDLR)», affirme Caroline Bassoni. Selon elle, une substance, en tant que telle, peut être dangereuse, mais, une fois en formulation, après avoir été évaluée, ses effets nocifs peuvent être neutralisés.
Un première proposition européenne fin 2022
La notion d’«essentialité» est finalement bien encombrante pour les industriels, qui pointent le flou juridique autour de la définition de ce concept. «De quoi parle-t-on précisément ? Pour le bien-être et le confort qu’apporte un cosmétique, on est aussi dans cette notion d’usage essentiel…», fait observer la juriste de Cosmed.
L’inquiétude est d’autant plus vive chez les industriels, que, au-delà des problèmes posés par les différents points de vue adoptés par les législations locales – c’est déjà le cas pour les nanotechnologies -, d’autres contraintes pourraient complexifier davantage leur travail, comme la prise en considération de l’effet combiné des produits chimiques…
L’idée, cette fois, est de mieux tenir compte du risque que représente, pour la santé humaine et pour l’environnement, l’exposition quotidienne des Européens à toutes les substances nocives, et pas seulement celles provenant des cosmétiques. «Il faut que cela reflète vraiment la réalité de cette exposition, car les évaluations des risques et des marges de sécurité sont déjà appliquées pour les cosmétiques par des toxicologues experts», insiste Caroline Bassoni,
Encore une fois, l’argument scientifique est brandi par les industriels. Mais le timing est serré. La phase de consultation sur la Stratégie chimique, ouverte en octobre 2021, vient de se terminer. Et l’Union européenne devrait rendre sa copie à la fin de l’année. Une première mouture qui, à n’en pas douter, sera encore âprement discutée.