Elle a la grâce éthérée d’un elfe, un sourire parfait qui creuse des fossettes au coin des lèvres et l’esprit qui fonctionne vite et bien : une condition nécessaire pour gérer l’impressionnant hammam des Cent Ciels, à Boulogne-Billancourt, dans les Hauts-de-Seine.
Véronique Bonnefont n’est pourtant pas née dans le sérail. Les rituels du hammam ne font partie ni de son enfance ni de son adolescence. Mais c’est peut-être encore plus fort, car le hammam et le soin sont pour elle un coup de foudre, vécu à l’âge de 23 ans.
À l’époque, elle décroche un job de rêve : elle a pour mission, malgré son jeune âge, d’introduire le luxe français sur l’île de Kish, un ancien territoire militaire dont le shah d’Iran veut faire le Monte-Carlo du golfe Persique. Entre deux rendez-vous pour créer un réseau commercial sélectif, elle découvre le hammam.
C’est une culture inconnue qui se révèle à elle. Une matrice sociale où les femmes se dévoilent, une atmosphère complice, un rapport à l’autre qu’elle n’avait jamais rencontré.
«J’ai découvert une part de moi en Orient. C’est sans doute au hammam que s’est opérée la catharsis. C’était un autre monde, où les femmes se montrent sans fard ni distinction sociale. Je me suis fait la promesse de recréer un jour un endroit similaire à Paris», se souvient-elle.
Le rêve de Shéhérazade réalisé à Paris
Cela ne se fera pas tout de suite. La pression des événements politiques en Iran, en 1979, la rapatrie en France, un peu désorientée. Elle y rencontre son futur mari, architecte et maître d’ouvrage. Ensemble, ils vont réaliser des lieux d’exception. Jusqu’au jour où le hasard lui fait découvrir un ancien entrepôt à Boulogne-Billancourt.
C’est le déclic. Enfin, un lieu qui se prête à son rêve de hammam, se dit-elle. C’est que Véronique rêve en cinémascope ! L’entrepôt fait 1 100 m2… Juste de quoi récréer une ambiance à la Shéhérazade avec le plus vaste bain tiède d’Europe, une sorte de rêve éveillé où tous les sens sont stimulés. Ce n’est pas le moindre mérite de Véronique d’avoir su créer un univers totalement dépaysant, sans tomber dans l’exotisme de pacotille.
«Il ne s’agissait pas de copier ce que j’avais pu voir en Orient, mais de m’en inspirer pour créer un parcours initiatique. J’ai la chance de travailler main dans la main avec mon mari, qui dirige, avec ses équipes, le chantier. Notre volonté est de proposer un espace à la fois traditionnel et contemporain, qui associe atmosphère orientale et épure occidentale», précise-t-elle.
Rien n’est laissé au hasard, et la créatrice a l’œil à tout : «Nous dessinons nous-mêmes tous les détails ornementaux, comme les lourdes portes en bois sculpté, les lampes et les appliques qui sont par la suite confectionnées sur mesure par des artisans marocains. Cette maîtrise des détails nous permet d’éviter le pastiche et de combiner les codes pour donner l’illusion d’un ryad d’aujourd’hui».
L’irrésistible ascension des Cent Ciels
Le public ne s’y trompe pas. Dès l’ouverture, en 2005, le lieu fait recette. C’est que, malgré le luxe qui s’y reflète partout, les prix restent abordables, et les soins originaux : c’est le seul endroit en France où l’on peut se prendre pour Cléopâtre en se trempant dans un bain au lait d’ânesse et, l’été, se rafraîchir dans un hammam frais.
Après Boulogne, le couple ouvre en 2013 un deuxième hammam, un peu plus petit, à Paris, près de la place de la République. Même succès. Puis un troisième Cent Ciels à Strasbourg… Là encore, Véronique déroule son concept.

«Notre particularité ? Le soin du lieu, d’abord, que j’envisage vraiment comme une invitation au voyage. Sa superficie, ensuite, qui est exceptionnelle. À Boulogne, nous disposons du plus vaste bain tiède d’Europe. Nous l’avons transposé de manière quasi identique rue Finkmatt, à Starsbourg. Nous avons aussi la volonté de rester accessible à tous et de proposer des formules qui permettent de pleinement profiter du hammam sans se ruiner», raconte la co-fondatrice des Cent Ciels.
En décembre 2017, c’est l’inauguration de Lille. Toujours plus grand, toujours plus haut : l’établissement de 1 500m2, le plus vaste d’Europe, compte deux hammams tièdes, deux hammams chauds, trois salles de gommage, quatre salles de massage doubles, six cabines individuelles, une salle de sommeil et une salle de repos, un parcours de piscine, un sauna, un patio extérieur et un restaurant de 48 couverts…

Présente sur tous les fronts, Véronique ouvre une nouvelle adresse à Bordeaux, dans un ancien chai de 800 m2, avec une hauteur sous plafond de six mètres. Difficile, pour l’entrepreneuse, de ralentir sa course. Après Bordeaux, Lyon… Et de six ! Comme dans les Mille et Une Nuits, l’aventure ne s’arrête jamais.
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