Vieillir jeune, l’anti-âge absolu. Derrière un sigle d’apparence anodine se cachait, dans les années 1990, un espoir fou. On nous promettait une «vraie révolution», la fin de toutes les maux liés au vieillissement : ostéoporose, rhumatismes, cancers… Depuis, rien. Que s’est-il passé ? Récit.
Mai 2001. La France retient son souffle. Dans quelques semaines, ses habitants vont pouvoir expérimenter cette fameuse «pilule miracle» qui fait vivre mieux et plus longtemps. Et rester jeune jusqu’à plus de cent ans, débarrassés de tous ces maux qui pourrissent la vie des personnes âgées, comme les rhumatismes, l’ostéoporose ou la perte de mémoire. Bref, ce nouveau médicament porte décidemment bien son surnom !
Voilà pourquoi l’annonce de la société Cooper, qui approvisionne les pharmacies en matières premières, fait l’effet d’une bombe, car le fournisseur assure qu’il sera en mesure d’inonder toutes les officines dès le mois de juin. Des millions de gélules distribuées chaque année. Un pactole pour tout le monde.
Le nom de cette potion magique semble tout droit sorti d’un film de science-fiction des années 50 : DHEA. Ces quatre lettres ne doivent pourtant rien au hasard. Elles désignent une hormone stéroïdienne qui diminue à partir de la trentaine : la déhydro-épi-androstérone. Derrière ce drôle de nom se «cache peut-être une vraie révolution dont on n’a pas fini de parler», s’enthousiasment des journalistes du Point.
Pour parfaire le tableau, il ne manquait plus qu’un grand savant, à qui les médias pouvaient attribuer la paternité de la molécule «miracle» : ce sera le Dr Etienne-Emile Baulieu. En fait, à défaut d’avoir découvert la DHEA, ce médecin a détaillé le processus chimique qui pouvait être à l’origine d’un traitement du vieillissement. Son article publié dans le très sérieux Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism, en 1994, ne tarit pas d’éloges sur un essai réalisé par le professeur Yen de l’Université de San Diego.
Même si cette expérience ne porte que sur trente personnes, les résultats obtenus lui semblent très encourageants. A tel point que le chimiste n’hésite pas à utiliser une formule bien peu scientifique pour en résumer le potentiel : «DHEA : la fontaine de jouvence ?», s’interroge le titre. Bigre ! Il n’en fallait pas plus pour que la machine médiatique commence à s’emballer.
« 1,6 million de gélules par mois »
Cinq ans plus tard, c’est le couronnement. Un nouvel essai, mené cette fois en France auprès de 280 personnes de plus de 60 ans, recevra un accueil dithyrambique de la presse, même si ses conclusions se révèlent mitigées. Le showbiz est en extase. Les people sont emballés, comme Johnny Hallyday qui déclare qu’il en prend depuis «son retour de Californie». Mais tous, pour l’instant, s’approvisionnent aux Etats-Unis. Ou via Internet.
On comprend, dans ces conditions, pourquoi les dirigeants de Cooper se frottent les mains. «Le plus gros fournisseur de matière première pharmaceutique va proposer aux officines de quoi en fabriquer 1,6 million de gélules par mois», annonce Le Parisien. Bref, le message est clair : il y en aura pour tout le monde, même si des annonces régulières de risque de pénurie viennent rappeler qu’il ne faut non plus trop tarder…
«Notre laboratoire interne a analysé pendant un mois l’échantillon de matière première qu’ils nous ont proposé, au moyen des techniques les plus modernes, comme le spectre infrarouge et la chromatographie. Et, aujourd’hui, on est sûr de la qualité de ce produit», assure la responsable marketing de la firme, citée dans ce même journal. L’attente est insoutenable.
Mais l’histoire serait trop simple pour s’arrêter là. D’ailleurs, qui entend encore parler de la DHEA aujourd’hui ? Personne. Sauf, peut-être, soyons justes, à l’occasion d’une interview du Pr Etienne-Emile Baulieu, également à l’origine de l’anti-progestérone RU 486, dite pilule «du lendemain». Dans un livre «Libre chercheur», co-écrit avec Caroline Fourest en 2013, il glissera, un brin amer : «Quel chercheur ne reconnaît, au fond de lui-même, les paradoxes du succès immérité ou de l’échec injuste».
Mais que s’est-il donc passé au cours de ces quinze dernières années ? Le succès était pourtant là, à portée de main. Le scientifique y avait mis toutes ses tripes : «je ne veux pas crever sans savoir ce que vaut ma DHEA !», jurait-il, dans les années 1990. Las ! Les autorités sanitaires ont mis leur nez dans ses pilules magiques. Et elles n’y ont pas trouvé que du bon.
« Aucune preuve formelle » d’efficacité
Premier coup de semonce : le 7 mars 2000, le ministère de la Jeunesse et des Sports classe la DHEA comme substance dopante. Un an plus tard, c’est au tour de l’Ordre des médecins de monter au créneau. Prudent, il prévient : «rien n’est encore défini concernant la posologie adéquate : la durée du traitement, les indications et contre-indications, les effets secondaires et les risques consécutifs à son absorption».
Le coup le plus sévère est donné, en juillet de la même année, par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), rebaptisée plus tard l’ANSM. Dans leur rapport, les experts sont catégoriques : il n’existe «aucune preuve formelle» d’efficacité de la DHEA dans le domaine du vieillissement. Plus inquiétant, ils pointent plusieurs risques…
L’«hormone de jeunesse» peut stimuler la croissance de cancers hormonodépendants (prostate, sein, utérus) et augmenter le risque cardio-vasculaire, en cas de prise au long cours… Il n’en fallait pas plus pour que la revue médicale indépendante Prescrire qualifie le phénomène de «nouvelle esbroufe» !
« Ne fait pas grand-chose si on n’a rien »
Après avoir encensé la DHEA, les médias adoptent un profil bas. De l’hormone de synthèse Distilbène au coupe-faim «miracle» Isoméride des laboratoires Servier, les scandales pharmaceutiques, qui commencent à se multiplier, ont déjà laissé des traces. Du coup, les pilules miracles s’éclipsent discrètement de la scène médiatique. Mais sans être interdites.
Vendue sans ordonnance comme complément alimentaire, la DHEA connaît un second souffle, si bien que l’Afssaps lance une nouvelle mise en garde. En 2016, l’Anses peut ainsi noter : «La déhydroépiandrostérone (DHEA) est un cas particulier, puisqu’elle est inscrite sur la liste des substances dopantes de l’Agence mondiale antidopage (AMA), mais n’est pas interdite dans les compléments alimentaires». Curieux, tout de même.
Quant à «monsieur longue vie», comme le surnomme Le Monde, il poursuit ses recherches, mais dans un autre domaine. «En 2010, Etienne-Emile Baulieu et ses équipes effectuent une percée concernant les maladies neuro-dégénératives responsables de conditions de dépendance douloureuse des personnes âgées», indique l’Inserm. Interrogé en 2016 par La Dépêche, le professeur se fait désormais plus modeste : «La DHEA ne fait pas grand-chose si on n’a rien, mais si on en manque, ça vaut le coup d’en prendre»… La révolution attendra.