Elle veut sauver son institut, fermé administrativement, et, pour cela, elle n’a pas hésité à accepter, en intérim, un emploi dans un abattoir. Il n’en fallait pas plus pour que l’animateur de CNews, Pascal Praud, et ses invités s’esclaffent sur le plateau et rivalisent de sarcasmes…
L’ancien chroniqueur sportif de Téléfoot, qui a débuté aux côtés de Thierry Roland à la fin des années 1980, n’est pas un novice sur les plateaux de télévision. Ce spécialiste du ballon rond, qui a tenté un moment de diriger le Football Club de Nantes, est devenu, par la grâce d’une restructuration – celle de l’ancienne i>Télé, désormais CNews -, le très controversé animateur du talk-show «L’Heure des Pros».
Habitué des clashs en direct et des petites phrases qui font le buzz, il sait faire parler de lui. Et attirer, par la même occasion, l’attention du CSA, qui reçoit régulièrement des signalements sur son émission. En 2019, il recadre ainsi plusieurs fois son invitée Claire Nouvian, fondatrice d’une ONG écologiste, en la traitant notamment «d’hystérique». Succès assuré sur les médias sociaux.
Cette fois, c’est une jeune esthéticienne de 27 ans qui se retrouve au cœur d’un buzz, provoqué jeudi par l’ex-animateur d’«On refait le match». Installée à Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor, elle a décidé de travailler à l’usine en attendant la réouverture de son institut de beauté, créée il y a à peine trois ans.
Son histoire aurait pu susciter la curiosité des chroniqueurs, ou, au minimum, un peu de compassion, dans un pays durement frappé par le coronavirus, en leur faisant entrevoir un monde bien éloigné que celui des plateaux de télévision. Une réalité plus âpre, où la survie économique se joue à quelques euros près.
« Pauvres bêtes ! », s’amuse un chroniqueur
Las ! À l’annonce de la diffusion d’un reportage sur la jeune femme, Pascal Praud et son équipe sont pris d’un fou rire. Un spectacle étonnant, où les longs mois d’angoisse endurés par les artisans et les petits commerçants semblent devenir un prétexte, comme un autre, pour s’amuser. «De là à passer d’esthéticienne à abattre les moutons et les veaux, je suis un peu surpris, mais bon», ironise l’ex-président de l’Olympique de Marseille, Jean-Claude Dassier. «Faut pas qu’elle se trompe d’instruments…», réplique un autre. «Pauvres bêtes !», s’amuse un troisième…
Pourtant, si les rieurs avaient attendu la fin du reportage, ils auraient découvert une femme émouvante et courageuse, qui a préféré, plutôt que de baisser les bras et d’attendre des aides pour payer ses charges, aller de l’avant, même si le travail proposé est moins glamour que celui de chroniqueur télé. «C’est mon rêve depuis toute petite d’ouvrir mon institut de beauté. Maintenant que j’ai réussi ce rêve, il est hors de question de laisser tout tomber», explique-t-elle au journaliste de CNews venu l’interroger.
Les rieurs, qui tentent maladroitement de rattraper le coup après la diffusion du reportage, sont déjà passés à d’autres sujets. Pour la jeune esthéticienne, en revanche, il n’y aura qu’une seule chose qui comptera jusqu’à mardi soir, celle qui a fait rire nos joyeux drilles : «L’abattoir ou l’institut de beauté, tout va dépendre des annonces du président de la République».
Depuis jeudi, les sarcasmes de Pascal Praud et de ses chroniqueurs ont été épinglés sur les réseaux sociaux, s’attirant les foudres des internautes, et pas seulement des esthéticiennes. Bref, encore du buzz. Bon ou mauvais, peu importe, tant qu’on parle de l’émission… De son côté, la Confédération nationale artisanale des instituts de beauté (Cnaib) a décidé de réagir en appelant ses adhérentes à signaler l’émission au CSA.
« On se sent inexistantes »
«Suite au mépris indigne affiché par Pascal Praud sur CNews à l’égard des esthéticiennes en ces temps si difficiles, la Cnaib Spa demande à toutes celles et ceux qui pensent que la difficulté à survivre n’est pas un sujet de moqueries de bien vouloir faire un signalement au CSA pour s’insurger. Cliquez sur le lien : https://www.csa.fr/Mes-services/Alertez-nous-sur-un-programme2, pour que plus jamais des journalistes bien installés et bien rémunérés ne se servent de la difficulté des autres pour faire rire leurs audiences», a posté dimanche sur sa page Facebook l’organe représentatif de la branche esthétique.
La tension est palpable chez les esthéticiennes, dont le timide espoir, amorcé à partir du mois de mai, a été stoppé nette par le reconfinement. «On se sent inexistantes. On entend parler des coiffeuses à tout bout de champ, et nous qui rencontrons les mêmes difficultés, on est mises de côté. Certaines d’entre nous ont perdu leur affaire», se désespère Julie Otto-Loyas, gérante d’un institut à Saint-Laurent-du-Var, rapportait Nice-Matin la semaine dernière.
L’expression d’une détresse sociale chez les artisans se manifeste davantage que lors du premier déconfinement. Parfois, c’est le drame, comme à Liège, où une jeune Belge de 24 ans, qui venait d’ouvrir son barber-shop, a fini par se suicider. «En ce moment, la perspective de tous ces travailleurs indépendants consiste à se demander s’ils tiendront le coup, eux, leur entreprise et leur famille. Dans cette situation d’inquiétude, certains transforment la détresse en colère», reconnaît le ministre des PME, Alain Griset, dans une interview au Monde. Pas de quoi rire, en effet.