Lancée en 2014, la marque «Rodolphe & Co» s’est imposée dans la coiffure en se positionnant à la fois sur le végétal et le minéral. Elle est aujourd’hui présente dans 1 700 points de vente à travers le monde. Entretien avec son fondateur, Rodolphe Diotel.
Profession bien-être : Le comble, pour un coloriste, c’est de découvrir qu’il est allergique aux produits capillaires. Et c’était justement votre cas. Comment, dans une activité comme la vôtre, s’extraire de la chimie ?
Rodolphe Diotel : C’est vrai, j’ai découvert très tôt que j’étais allergique à de nombreux produits capillaires. J’ai d’abord travaillé chez Wella et L’Oréal, puis, à la suite de ces allergies, j’ai eu l’idée d’être distributeur d’une marque étrangère, qui proposait des produits alternatifs. Mais là encore, mes problèmes allergiques étaient toujours présents…
C’est là que j’ai commencé à comprendre que les formules des produits que j’utilisais étaient loin d’être naturelles. J’ai donc décidé de les imaginer en fonction de mes propres allergies. Je n’avais pas forcément envie de créer de nouveaux produits. Ce que je voulais, c’était de trouver une réponse à ma demande, tout simplement pour pouvoir travailler.
Comment on se lance dans le naturel, alors que le marché n’existe quasiment pas ?
J’ai commencé sur trois produits, shampoing, soins et après-shampoing, qui m’ont demandé deux ans de préparation. C’était long, car j’ai tout fait par moi-même, en sélectionnant des ingrédients locaux, peu explorés dans la cosmétique. Par exemple, j’ai développé un actif, qui s’appelle la «bionacre», que nous récoltons nous-mêmes, de manière familiale, en Bretagne, sur la baie de Quiberon, et que nous façonnons dans un laboratoire pour microniser et récupérer la nacre. Nous travaillons également la spiruline marine, qui est la seule spiruline au monde à être récoltée en Bretagne, au niveau de la presqu’île de Rhuys.
L’une des particularités de votre marque, c’est qu’elle n’est pas 100% végétale. Le minéral y est aussi très présent. C’est un choix délibéré ?
En fait, nous avons commencé par sourcer les matières qui étaient locales. Et, forcément, on a plus de minéral que de végétal en Bretagne, surtout sur la côte. Et puis, nous nous sommes rendus compte qu’avec des minéraux, notamment les sels, nous arrivions à des résultats intéressants, comme la mise au point d’un agent qui nous évite de mettre de l’ammoniac ou de ses dérivés, comme la MEA (monoethanolamine, NDLR), dans la coloration.
Aujourd’hui, notre décoloration entièrement minérale contient de la poudre de diamant, en fait du calcaire de diamant qui n’a aucune valeur : il a la propriété du diamant, c’est du calcaire, qui permet de booster l’efficacité de l’oxydation.
Le minéral n’agresse pas les cheveux ?
Non, le minéral n’abîme pas les cheveux et n’est pas toxique pour la santé du coiffeur. Autre avantage : on est aussi capable, avec du minéral, quasiment de manière illimitée, à sourcer et à travailler, tandis qu’avec l’agriculture, on est dépendant du climat, de la saison et de la récolte, surtout en bio, parce qu’il n’y a pas de pesticide.
Pourquoi vous êtes-vous lancé également dans le végétal ?
Parce que j’ai trouvé une technologie. Nous avons créé un gel en Bretagne à base de bicarbonate et d’algues, qui nous permettait d’apporter une solution crémeuse, et donc une expérience cosmétique, en même temps qu’une couleur, ce qui nous a permis à la fois de colorer et de soigner le cheveu. J’ai des concurrents qui ont fait des colorations végétales sous forme de crème mais avec beaucoup d’éthanol ou d’alcool, ce qui est quand même agressif pour le cuir chevelu.
D’où viennent vos ingrédients ?
Près de 60% viennent de l’Ouest de la France. Ce n’est pas par pur chauvinisme, mais plus je peux être près des producteurs et de l’usine, mieux c’est. Je favorise le local pour éviter de consommer trop. Parce que je consomme déjà beaucoup pour exporter mes produits dans le monde, puisque nous sommes aujourd’hui présents dans 17 pays.
Comment se passe le sourcing ?
Pour trouver des produits un peu différents, on se rend sur place, souvent dans des pays étrangers. Par exemple, le sang du dragon est devenu l’un des derniers produits phares de notre marque. C’est un ingrédient, tiré de la sève d’un arbre, que j’ai sourcé aux Canaries, en visitant un parc. J’ai fait faire des tests pour les cheveux et je me suis alors rendu compte qu’il avait des propriétés antioxydantes. Il protège aussi la couleur dans le temps et évite d’ajouter des conservateurs chimiques.
Être certifié, c’est important ?
Si vous n’êtes pas certifié, potentiellement, vous êtes sur des terres bourrées de saloperies. Je l’ai vu de mes propres yeux. Alors, bien sûr, vous pouvez toujours dire que vous faites des tests, mais qu’est-ce qui le prouve ? Ce n’est que lorsqu’on a un contrôle de la répression des fraudes que l’on peut s’en rendre compte. Mais sans certification, il peut se passer 10 ou 15 ans avant qu’il y ait un contrôle, alors que, quand vous êtes audité et certifié chaque année, de manière aléatoire, cela a certes un coût, mais vous êtes contrôlé par un tiers.
C’est incontournable quand on exporte ?
Pour certaines destinations, oui. Par exemple, aux Etats-Unis et au Canada, avoir des formules sans gluten, c’est important. Dans ces pays, on estime que, dès lors qu’on a du gluten dans la formulation des cosmétiques, les allergies sont décuplées.
Est-ce qu’un salon de coiffure peut être entièrement végétal ?
Ne faire que du végétal dans un salon, c’est possible, mais il y en a très peu. On a seulement 1 000 salons en France qui ne font que du végétal. Un coiffeur est d’abord un artisan. Si vous ne lui mettez que du végétal dans ses mains, il ne va faire que du végétal. Mais c’est limitant. Par exemple, vous ne pouvez pas changer de couleur tous les mois.
On a des clientes qui souhaitent changer de couleur en fonction des saisons. En végétal, ce n’est pas possible. Quand vous commencez, vous devez continuer, car vous ne pouvez pas changer la couleur, une fois posée. Elle n’est pas retirable du cheveu, contrairement à la chimie.
Le végétal, c’est rentable ?
C’est d’abord un service. Ce n’est pas forcément très rentable, mais on peut en vivre. Les services bio sont souvent moins rentables, plus haut de gamme, plus chers et plus élitistes. C’est pourquoi nous proposons également du minéral, qui est une alternative écoresponsable, saine, permettant de se sécuriser et de réaliser de nombreuses prestations. Cela permet aussi d’équilibrer les services en salon. Un salon qui travaille en minéral et en végétal, que ce soit sur la revente ou le balayage minéral, peut être très rentable.
Propos recueillis par Georges Margossian.