Profession bien-être : On connaît le groupe Revlon, un chiffre d’affaires de près de 2 milliards de dollars et des marques phares, comme Elizabeth Arden, rachetée en 2016. On connaît moins bien Revlon Professional. Quel poids représente cette entité et comment se positionne-t-elle par rapport à ses concurrents ?
Charbel Katra : Revlon a commencé à s’intéresser à la coiffure dès les années 1960 en lançant des produits coiffants, mais le vrai démarrage a été le lancement de Sensor pour les permanentes, dans les années 1980, avec un dispositif qui permettait de contrôler la chauffe et le temps de pause.
En 2000, le groupe a vendu les droits d’utilisation de ses produits professionnels à la société espagnole Colomer Group, qui les a développés et commercialisés sous licence jusqu’en 2013, année où elle fut rachetée par le groupe américain.
Par ailleurs, en 1997, Revlon a repris la marque premium American Crew de produits coiffants pour homme, créé par David Raccuglia. Revlon l’a ensuite transformée en une marque internationale. Quand le marché des barbiers a décollé à partir de 2005, le groupe était alors très bien placé.
Aujourd’hui, Revlon Professional est le quatrième acteur du marché mondial des produits professionnels, après L’Oréal Professionnel, Wella et Schwarzkopf, avec une activité qui représente 15% de la taille totale du groupe Revlon, soit un chiffre d’affaires d’environ 250 millions de dollars.
Il y a un an, le groupe Revlon, après avoir accumulé un endettement de près de 3 milliards de dollars, s’est mis sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites d’entreprise. Où en est-il aujourd’hui ?
Revlon s’est endetté pour financer son développement, tout en restant viable, et a dû faire appel au Chapitre 11, un dispositif propre aux Etats-Unis qui permet à une entreprise de se protéger des créanciers le temps qu’elle puisse renégocier avec eux. Aujourd’hui, un accord a été trouvé : les créanciers de Revlon sont devenus propriétaires du groupe.
Revlon Professional a-t-il souffert des déconvenues financières de la maison-mère ?
Non, parce que, pour Revlon Professional, tout est fabriqué en Europe, et cela tient à son histoire avec Colomer. Il n’était donc pas sous chapitre 11, qui concernait surtout les entités d’Amérique du Nord. En revanche, American Crew, qui fait aussi partie de nos produits professionnels, a un peu plus souffert de la crise, en raison de la pénurie de matières premières.
Revlon Professional a-t-il renoué avec la croissance après la crise sanitaire ?
On a été beaucoup affectés par le confinement des coiffeurs, surtout en 2020, mais ensuite on a très bien rebondi. En revanche, on note toujours une baisse de fréquentation dans les salons de coiffure un peu partout dans le monde.
Un exemple : alors que la catégorie grand public en coloration est en recul, – 3,5% en glissement en 2023, comparé à l’an dernier, on ne ressent pas, pour autant, une augmentation des prestations de couleur en salon de coiffure. Une réduction de la coloration à la fois chez soi et dans les salons de coiffure, c’est un phénomène inédit.
Quelle place prend le marché français de la coiffure dans le développement de Revlon Professional ?
La France se situe dans le Top 3 des pays européens pour Revlon Professional, aux côtés de l’Espagne et l’Italie, avec un chiffre d’affaires d’environ 31 millions d’euros. On est présent aujourd’hui dans 15 000 points de vente, dont 4 000 que nous gérons en direct.
J’ajoute que la pénétration digitale est meilleure en France qu’en Italie ou en Espagne. Les coiffeurs français sont plus sensibilisés par l’importance des réseaux sociaux ou la réservation en ligne. Il y a trois ans, tout le recrutements se passait par le bouche-à-oreille. Ce n’est plus vrai.
Quel est votre positionnement aujourd’hui ?
La philosophie de Revlon est de considérer qu’une cliente qui se rend dans un salon y vient principalement pour acheter une prestation, pas des produits. C’est pourquoi on essaye de sensibiliser les coiffeurs à l’importance de créer leur propre image de marque, plutôt que d’accueillir leurs clients dans un environnement neutre. La vente de produits n’est que la conséquence du travail que nous entreprenons avec le coiffeur. Le but, c’est d’abord de l’aider à augmenter son chiffre d’affaires.
Votre message, très « business », est-il bien compris par les coiffeurs ?
Il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions. Ce nouveau positionnement a été lancé en janvier. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on n’a pas donné assez d’importance au volet business de ce métier. On a toujours considéré le coiffeur comme un artisan indépendant, pas comme un entrepreneur.
Pourquoi est-ce si important aujourd’hui de s’intéresser au développement de son salon ?
Parce que le marché a changé ! Aujourd’hui, la fréquentation a baissé à 3,9 visites par an, soit une tous les trois mois, contre 7 visites par an il y a 20 ans. La situation n’est donc plus du tout la même. Les charges ont augmenté, la rentabilité a fondu et il faut batailler plus dur pour conserver sa clientèle…
Par conséquent, la gestion des coûts est devenue très importante. Quand on était sur 7 visites par an, on pouvait se permettre des débordements. Aujourd’hui, les salons qui tournent bien, c’est parce qu’ils donnent à leurs clients l’envie de revenir plus régulièrement. Plutôt que de faire quatre visites par an, ils vont faire huit visites par an et vont dépenser 30% de plus par visite, ce qui veut dire qu’avec moins de clients, le salon va mieux vivre et il aura une clientèle plus fidèle.
Observez-vous un déclic aujourd’hui chez les coiffeurs ?
Oui. Pendant longtemps, parler avec un coiffeur de notions de business, de marketing ou de digitalisation n’était pas simple, parce qu’il a surtout appris à être au top sur le plan technique. Avant le Covid, on avait deux ou trois formations business. Elles étaient annulées trois fois sur quatre.
En sortant de la crise sanitaire, toutes nos formations business étaient vendues. Depuis, on a toujours affiché complet. La pandémie a fait prendre conscience aux coiffeurs qu’il était vital, pour eux, de bien gérer leur salon.
C’est la raison pour laquelle vous avez inauguré, en janvier, une nouvelle Académie, installée désormais au 24, cour des Petites Ecuries, à Paris ?
Oui. Il fallait envoyer un signal fort aux coiffeurs et aux barbiers. Revlon Professional est à leurs côtés, notamment en les aidant à développer leur capacité à générer du chiffre d’affaires. Depuis qu’on a lancé la nouvelle Académie, les formations liées au business représentent 40% de son chiffre d’affaires. Et on va essayer d’aller plus loin.
Face à l’inflation et au recul de la fréquentation des salons, que dites-vous aux coiffeurs ?
Qu’ils ont un fort potentiel de développement s’ils savent donner envie à la consommatrice de revenir chez eux. En proposant des services à vraie valeur ajoutée, et pas des services qu’on peut faire à la maison. Couvrir des cheveux blancs, une cliente peut le faire chez elle pour moins cher, ce qui n’est pas le cas pour un service de balayage des mèches.
Cela peut surprendre, mais la concurrence du coiffeur n’est pas le coiffeur en face ; ce sont les spas, les magasins de vêtements ou de iPhones, etc. Au lieu de dépenser chez Zara ou ailleurs, la cliente doit venir chez le coiffeur. Mais il faut, pour cela, qu’elle considère que rester une après-midi dans un salon de coiffure est quelque chose de plus agréable que passer une après-midi à faire du shopping ou prendre un avion avec Easyjet et d’aller à Barcelone pour un week-end !
Sur votre site Internet, on peut lire : «Nous nous efforçons de transformer leurs salons en une destination de bien-être ». Qu’est-ce que vous entendez par « bien-être » ?
Le bien-être, c’est relatif. Il dépend de l’image de marque que le coiffeur veut donner. Si c’est un coiffeur grunge, le bien-être ce ne sera pas de donner l’impression d’être à Bali ou dans un spa. Il faut savoir jouer avec les produits en fonction du besoin des clients.
Par exemple, Eksperience, c’est la gamme par excellence d’un spa. C’est pourquoi on a lancé avec le produit des rituels qu’on théâtralise au bac avec un moment de relaxation pour la cliente. L’idée est d’augmenter la fiche moyenne en vendant un service, et le produit n’est que la finalité.
Si la cliente veut rentrer chez elle avec le produit, elle peut, mais c’est le service que l’on ajoute au salon qui va permettre au coiffeur de faire vraiment de la marge. En plus, le bien-être va fidéliser la cliente, car elle va trouver quelque chose chez lui qu’elle ne trouvera pas ailleurs.
Vous semblez bien connaître le monde de la coiffure. Quand on fait partie du top management d’un grand groupe de cosmétiques, on a le temps de s’intéresser au quotidien d’un salon ?
En fait, je suis né dans la coiffure. Mon père est coiffeur et il travaillait du matin jusqu’au soir, comme tous les coiffeurs. À partir de 14 ans, pour gagner de l’argent de poche l’été, je venais travailler avec lui, à nettoyer le sol, à répondre au téléphone, avant de m’orienter vers des études commerciales, car je ne me sentais pas assez bon techniquement !
Propos recueillis par Georges Margossian.