Profession bien-être : Vous avez pris les rênes du HCF, tout juste avant la crise sanitaire, au moment où le secteur commençait à s’interroger sur son rayonnement international. Qu’est-ce qu’il reste aujourd’hui de la Haute coiffure française ?
Pascal Bizolon : D’abord, elle est toujours là. Avec bientôt 80 ans d’existence, que nous célébrerons en février 2025, cette maison a déjà traversé énormément de crises, y compris la crise sanitaire, qui a eu des conséquences terribles pour nous. J’ai eu l’honneur de la reprendre au cours de cette période, c’est vrai, en janvier 2020, pour un mandat de trois ans. Après un audit, j’ai d’abord hésité. Finalement, j’ai accepté de reprendre un Titanic…
L’image est forte ! L’excellence française de la coiffure dans le monde est-elle en train de disparaître ?
Non, bien au contraire ! Ce que je veux dire, c’est que nous avons un iceberg devant nous, car j’ai plus de difficulté à véhiculer notre image et ce qu’elle représente auprès de notre propre pays. Il y a une sorte de pessimisme ambiant en France, alors qu’à l’inverse, lorsque je me déplace à l’étranger, il y a un enthousiasme de dingue à nous retrouver et à faire rayonner ce magnifique navire.
Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
La Haute coiffure française est une maison de création artistique née en 1945. Sa mission est aussi de transmettre ce savoir-faire auprès des jeunes talents. Il s’agissait, pour elle, de parvenir à fédérer les coiffeurs, plutôt talentueux, pour permettre à la profession, tous les ans, d’apporter les nouvelles lignes de la tendance.
D’abord, à Paris, puis, au fil des ans, dans le monde entier. Et, je dois dire, qu’elle y est brillamment parvenue, en ayant, jusqu’aux années 1970, suivi un chemin parallèle à celui de la haute couture. Par la suite, le marché de la coiffure a été bouleversé par l’arrivée des franchises, qui ont mouvementé le secteur avec une finalité très marketée.
Aujourd’hui, on peut regretter que la Haute coiffure française n’ait pas su prendre tous les bons virages, les bons chemins, pour faire rayonner ce métier de la même façon que la haute couture. C’est un reproche qu’on ne peut se faire qu’à nous mêmes.
La Haute coiffure française n’a donc pas l’image qu’elle mériterait d’avoir aujourd’hui ?
Certainement. La Haute coiffure française a été l’un des fleurons de l’industrie hexagonale. Elle a fait beaucoup pour la profession, mais de manière très repliée sur elle-même, en étant très élitiste. Je n’ai rien contre : être élitiste, pour moi, est plutôt un gage de reconnaissance, de qualité de travail, d’élévation d’un métier. Par contre, l’élitisme pour de l’élitisme, c’est un danger, parce que, du coup, on risque de disparaître à terme.
Vous évoquez l’arrivée de la franchise dans la coiffure, au cours des années 1980. Son apport a-t-il été si négatif pour le secteur ?
Bien sûr que non. Ce que je reproche à certaines maisons de coiffure qui vont franchiser le métier, c’est de le tirer vers le bas en se concentrant principalement sur un seul aspect, le prix. Certes, le prix est fondamental, mais moi, je ne me bats pas pour ça.
Baisser tous les prix a des conséquences graves sur nos entreprises. Je suis, au contraire, pour valoriser le prix d’un collaborateur, son savoir-faire et son savoir-être, qui est très important dans le métier. Je ne suis pas là pour qu’on passe notre temps à faire du prix bradé, ce n’est pas notre vocation. Il y a de l’intelligence dans ce métier artisanal, beaucoup d’intelligence.
De quelle manière comptez-vous relever le défi ?
Le premier reproche qu’on peut faire à la Haute coiffure française, c’est de rester trop longtemps enfermée sur elle-même. J’estime, par conséquent, qu’elle doit aller vers l’autre, c’est-à-dire vers les coiffeurs mais aussi les non-coiffeurs. Ce n’est pas normal que le client final ne nous connaisse pas. C’est un problème pour nous, qui sommes un label d’excellence.
Qui adhère à votre syndicat professionnel ?
Nous avons près de 500 adhérents dans le monde, dont 94 en France. Même en Inde, nous sommes connus. Pourquoi ? Parce que nous représentons encore un aspect fondamental de la mode. Nous avons la chance d’avoir dans notre équipe artistique des coiffeurs talentueux, qui montrent notre savoir-faire. Que ce soit au Chili, en Espagne, en Norvège ou en France, notre point commun, c’est de revendiquer une appartenance à un label de qualité.
Comment y entre-t-on ?
Il faut être parrainé par d’autres coiffeurs membres. Le droit d’entrée est de 350 euros pour trois ans. Vient s’ajouter une contribution annuelle, qui varie d’un pays à l’autre. Pour 2023, elle est de 900 euros HT en France. Quant au profil, seuls les chefs d’entreprise pouvaient être acceptés.
Depuis 2021, il n’est plus obligatoire d’avoir un salon pour être membre. Autre nouveauté : nous nous interrogeons sur la possibilité qu’un coiffeur-collaborateur nous rejoigne sans avoir la capacité de chef d’entreprise.
C’est une façon, pour vous, de sortir de l’entre-soi ?
Oui, et nous avons pris d’autres initiatives. Pour la première fois depuis longtemps, nous étions présents au MCB. Par ailleurs, nous sommes en train de fédérer la profession au-delà de notre partenaire historique, L’Oréal, en développant le sponsoring.
Nous ouvrons la HCF à des marques comme la maison de mobilier de coiffure Cindarella, la fabricant de peignoirs Mina Raine, et même le champagne Pierre Mignon, qui vient de nous rejoindre. Bref, toutes les entreprises, symboles du luxe, du haut de gamme et du prestige, qui souhaitent soutenir la Haute coiffure française.
Propos recueillis par Georges Margossian.
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